1.
Le foot au service de la cognition ⚽️
Sources : nationalgeographic.fr, theconversation.com
Étude complète : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0003347222002366

Photographie Karolina Grabowska – Pexels
Je commencerai cet article par un conseil : ne sous-estimez pas les petits cerveaux.
Nombreux sont ceux qui partent du principe que plus un organisme diffère des humains, moins il a de capacités cérébrales (un poil présomptueux ?).
Partant de ce principe, les insectes, invertébrés aux cerveaux miniatures ne partent pas gagnants. En grossissant très légèrement le trait, l’imaginaire collectif en fait de minuscules machines irréfléchies à la vie courte et sans saveur.
Pourtant, petit à petit, la science œuvre pour leur rendre leur lettre de noblesse et, ainsi, rabattre le caquet aux outrecuidants.
Les abeilles, qui sont particulièrement étudiées par la science, ont déjà eu l’occasion de démontrer qu’elles étaient capables de compter, de naviguer dans des environnements complexes, d’apprendre des concepts, d’utiliser leur incertitude pour guider leurs décisions et même, d’afficher un comportement qui s’apparente à une émotion.
Et ça ne s’arrête pas là. En 2017, des chercheurs de l’Université de Queen Mary, à Londres, ont prouvé qu’il était tout à fait possible d’apprendre à des bourdons terrestres (Bombus terrestris)…à jouer au football ! Enfin, on n’est pas encore tout à fait aux stratégies d’équipes, aux dribbles, corners et simulations de blessures, mais l’étude n’en reste pas moins impressionnante. Au cours de l’expérience, les petits insectes duveteux déplaçaient de petites boules en bois pour les placer dans un but (moyennant récompenses alimentaires sucrées – rien n’est gratuit).
Impressionnante, car ce comportement est très éloigné de ceux adoptés par ces insectes pollinisateurs dans la nature.
Au cours de cette étude, les scientifiques ont réalisé que certains bourdons restés sur le banc de touche faisaient rouler des boules sans raison apparente.
Étaient-ils tout simplement… en train de s’amuser ?
Pour le vérifier, Samadi Galpayage a mis au point une série d’expériences.
Instant définition : en éthologie, l’acte de « jeu » doit répondre à une série de critères précis, il s’agit notamment d’un comportement volontaire et spontané ou gratifiant sans fonctionnalité évidente ou immédiate.
Revenons à nos bourdons : pour vérifier sa théorie, Samadi Galpayage a placé les insectes dans une arène dans laquelle ils pouvaient, s’ils le souhaitaient, (notion importante) interagir avec les fameuses boules en bois lorsqu’ils se rendaient à une zone de nourrissage. Et la plupart ne se sont pas fait prier. Certains individus ne l’ont fait qu’une fois, d’autres 44 fois au cours d’une même journée et un individu a tout de même répété ce jeu 117 fois au cours de l’étude (je suis à deux doigts de vous lancer « le Beezedine Zidane » de l’étude, mais je ne vous ferai pas cet affront).
Les chercheurs ont pu noter une propension plus importante au jeu chez les juvéniles et les bourdons mâles (un constat qui fait écho à des recherches similaires sur le jeu chez des espèces vertébrées).
Le jeu est un comportement complexe observé chez de nombreuses espèces (chats, chiens, rongeurs, singes, poissons, grenouilles, lézard, oiseaux…), mais cette étude, qui date déjà de 2022, a démontré, pour la première fois, son existence chez des insectes. Et ce n’est pas anodin ! Ce comportement pourrait refléter des capacités émotionnelles et cognitives jusqu’ici sous-estimées et, ainsi, remettre en question leur statut d’êtres insensibles.
Après des siècles de dévalorisation et de mauvaise réputation, la révolution des insectes serait-elle en marche ? Je leur souhaite.
Zoom sur… 🔬
2.

À la rencontre de
JOE ROMAN
✨ « [Elles] peuvent être vert fluo ou rouge vif. Parfois, elles scintillent d’écailles argentées, comme le soleil sur l’eau. Chaque défécation de baleine est unique. » ✨
Joe Roman est un biologiste de la conservation et un écologiste marin, mais également… un passionné de défécations.
Dans un article publié le 31 octobre 2024 dans le journal The Guardian, le scientifique décrit avec émotion sa première rencontre avec des excréments de baleine, il y a une trentaine d’années : « nous sommes tombés sur une baleine franche mâle en train de se nourrir […]. Elle était remontée pour respirer et se reposer. Juste avant de replonger, elle a émis cet énorme panache fécal. Il y avait des litres de déjections dans l’eau. On aurait dit des briques rouges flottantes. L’odeur était insoutenable. ».
Il ne le savait pas encore, mais cette rencontre allait bouleverser sa vie.
Depuis, il parcourt les océans, de l’Alaska au Mexique, en passant par l’Islande ou Hawaï, à la poursuite de ces étonnants panaches fécaux.
” […] les déjections de baleines franches sont les plus fortes et les plus nauséabondes, mais j’aime cette odeur désormais. “
Mais d’où vient cette fascination farfelue ? Ne le jugez pas trop vite (je vous vois venir), Joe Roman a une excellente raison de se livrer à cette passion.
Auteur du livre “eat, poop, die : how animals make our world”, le scientifique explique que les carcasses en décomposition et les excréments – des phénomènes jugés peu glamours et, en conséquence, largement négligés – ont un impact considérable sur les écosystèmes.
Prenons les défécations de baleine : le Dr Roman explique que leur étude est indispensable pour la compréhension des océans.
Le rorqual bleu (Balænoptera musculus), par exemple, ingère d’énormes quantités de nourriture – 1 à 4 tonnes par jour. De quoi produire des quantités impressionnantes de selles. Véritables mines d’information, elles peuvent nous renseigner non seulement sur l’état de santé de la baleine (régime alimentaire, hormones, niveau de stress, état reproducteur, lignée génétique…), mais également sur le niveau de pollution des océans (qu’il s’agisse de mercure, de microplastique ou de charges parasitaires).
Mais ce n’est pas tout. Les excréments jouent un rôle sur la santé globale des océans et de la planète, rien que ça !
Avez-vous déjà entendu parler du concept de « pompe biologique » ?
Il s’agit d’une série de processus biologiques qui transporte le carbone de la zone photique (la couche superficielle de l’océan) vers les fonds marins. Grâce à cette pompe, l’océan absorbe une partie du carbone anthropique (issu des activités humaines).
« Mais quel rapport avec la choucroute ? ». Restez avec moi, j’y arrive.
Joe Roman propose le concept de « whale pump » : les baleines plongent pour se nourrir dans les profondeurs et remontent respirer à la surface. Et c’est là qu’elles ont pour habitude de libérer leurs intestins. Or, leurs éliminations sont très riches en nutriments. Elles vont alors servir d’engrais aux organismes composant le phytoplancton, qui végètent près de la surface pour profiter de la lumière. Et ces derniers sont les premiers maillons de la chaîne alimentaire des océans. En participant au brassage des nutriments, les baleines stimulent la croissance du phytoplancton et encouragent ainsi la croissance des populations d’organismes et de poissons qui s’en nourrissent, et notamment, ceux dont elles se nourriront à leur tour.
C’est la ronde infinie, le cycle éternel, c’est l’histoire… l’histoire de la vie.
En conséquence, contrairement aux idées reçues, la présence des baleines pourrait en réalité stimuler les populations de poissons plutôt que de nuire aux activités de pêche. Ce qui remettrait en question la justification de la chasse à la baleine dans certains pays (cc le Japon, la Norvège et l’Islande).
Dans les mondes vivants, chaque détail, aussi malodorant soit-il, a son importance. Rien ne semble laissé au hasard. Et pour continuer à suivre l’état de santé des espèces, les impacts environnementaux et le rôle du brassage des nutriments sur la santé des écosystèmes, le monde a besoin de plus de passionnés d’excréments.