Newsletter #4

1.

Quand la nature se met à la fête

Certains animaux, comme les primates et les musaraignes arboricoles, sont capables de métaboliser efficacement l’éthanol, signe d’une adaptation progressive au fil de l’évolution. Car la consommation d’éthanol dans le monde sauvage remonterait a priori au Crétacé (la période géologique qui s’est terminée avec la disparition des dinosaures non-aviens, pour ceux qui n’ont pas suivi en cours de sciences). Après des millions d’années de consommation, on se doute bien que cette dernière n’est pas toujours accidentelle. 

Mais alors pourquoi consommer de l’éthanol lorsqu’on est une musaraigne arboricole ou une mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster), vous demandez-vous peut-être ? 
Eh bien, figurez-vous qu’une consommation modérée d’éthanol peut avoir des bénéfices insoupçonnés (modérée, on a dit, n’allez pas me dire que je vous pousse à la consommation !), notamment : 

  • Des avantages nutritionnels : la présence de sucres et de calories dans l’éthanol est une source d’énergie non négligeable pour les habitants du monde sauvage.
  • Des vertus médicinales : bien que les implications de l’éthanol sur la santé des animaux sauvages soient encore peu étudiées, il semblerait que certains l’utilisent dans le cadre d’une forme d’automédication. Les mouches du vinaigre, par exemple, ont tendance à pondre dans des milieux contenant de l’éthanol pour protéger leurs œufs des parasites. Et les larves augmentent leur absorption d’éthanol face à certaines menaces, comme des guêpes endoparasites.

Mais ce n’est pas tout ! Les chercheurs avancent une troisième hypothèse, qu’ils comptent bien creuser dans les prochains mois : l’ingestion d’éthanol pourrait avoir des avantages socio-comportementaux. Une façon scientifique de nous dire que l’alcool désinhiberait les comportements sexuels. Ainsi, les femelles Drosophila simulans se montrent moins sélectives et copulent avec davantage de mâles après avoir été exposées à l’éthanol. Tandis que les mâles Drosophila melanogaster consomment de l’alcool lorsqu’ils sont rejetés en tant que partenaire (on trouverait donc aussi des piliers de comptoir chez les mouches du vinaigre). 

Chez certains autres animaux qui possèdent des systèmes neuroanatomiques, sociaux et comportementaux avancés, comme les primates ou les humains, la consommation d’éthanol pourrait également être motivée par la recherche d’un sentiment de relaxation et de soulagement de l’anxiété. 
Le cocktail (vous l’avez ?) constitué par l’augmentation de l’excitation, le relâchement du contrôle inhibiteur et l’altération des capacités cognitives (qui contribuent à élargir les préférences en matière de partenaires) ainsi que l’augmentation de l’enjouement et de la socialité serait donc bénéfique à certaines espèces pour la survie et la reproduction. 


Mais après cette propagande pour l’éthanol, revenons un instant sur la notion importante de modération. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, et c’est encore plus vrai dans la nature : essayez d’échapper à un prédateur ou de grimper en haut d’un arbre en étant ivre (non, s’il vous plait, n’essayez pas). La surconsommation d’éthanol en réduit donc considérablement les bénéfices. 
Ainsi, la consommation d’éthanol est plus courante dans la nature que ce que l’on a pu penser et celle-ci pourrait jouer un rôle favorable dans l’évolution de certaines espèces. 

Et nous apprenons que, même au plus fort de la fête, les comportements humains, que l’on pensait réservés à notre espèce, s’inscrivent en réalité dans le monde animal depuis des millions d’années. 

2.

Avant les fermiers, les fourmis 🐜

Dans la série « la nature a souvent une longueur d’avance », je demande l’agriculture. Pilier essentiel de nos sociétés modernes, l’agriculture a fait son apparition il y a environ 12 000 ans. Enfin pensions-nous ! Jusqu’à la publication d’une étude étonnante parue dans la revue Science le mois dernier qui rebat les cartes. 

Nous savons depuis 150 ans, grâce aux recherches de Thomas Belt et Fritz Muller, que nous ne sommes pas la seule espèce à pratiquer l’agriculture. En effet, sur les milliers d’espèces de fourmis connues, près de 250 cultivent des champignons pour se nourrir. 

« Mais, depuis quand ? » s’est interrogée une équipe de chercheurs américains. Après avoir mis au point des méthodes moléculaires pour recueillir et analyser les données génétiques de 475 espèces de champignons et de 276 espèces de fourmis, et avoir élaboré des arbres évolutifs détaillés, ils pensent avoir la réponse. 

Et on apprend que l’on peut aller se rhabiller avec nos 12 000 ans, puisque les fourmis nous auraient devancés de plusieurs millions d’années ! 66 millions d’années pour être (quasi) précis. Cette date vous dit quelque chose ? C’est l’époque à laquelle un astéroïde a frappé la Terre, provoquant une extinction massive à l’échelle planétaire et précipitant la disparition des dinosaures non-aviens. Mais aussi celle des végétaux, nous disent les scientifiques. Après l’impact de la météorite, les poussières soulevées auraient obscurci le ciel pendant plusieurs années. Privés de soleil, les végétaux auraient dépéri et se seraient décomposés, créant un terrain propice pour la pousse des champignons. Ni-une ni-deux, les fourmis auraient adapté leur régime alimentaire et auraient rapidement appris à protéger et domestiquer cette source de nourriture. Pour entretenir leur jardin fongique, les insectes n’hésitent pas à employer les grands moyens, en apportant par exemple du mycélium sain à l’espèce qu’ils cultivent pour l’aider à prospérer ou en produisant des antibiotiques pour lutter contre les maladies attaquant leurs champignons (et le tout sans pesticides !). Au fil du temps, les pratiques de culture se seraient complexifiées et diversifiées. Voilà comment les fourmis auraient inventé l’agriculture bien avant qu’Homo sapiens ne voie le jour, constituant au passage un bel exemple de la façon dont les écosystèmes terrestres se sont remis de l’une des pires catastrophes de tous les temps et ont appris à prospérer. 

3.

RATS WARS : que la force soit avec eux 🐀

« C’est tellement éloigné de ce que nous connaissons… que cela semble presque magique » a déclaré Eduardo Mercado III, chercheur à l’Université de Buffalo. 
Scientifiques en herbe, magiciens de la première heure, accrochez-vous à vos sandales car la découverte faite par deux chercheurs américains en bioacoustique au sujet des rongeurs est incroyable. 

On sait que les rongeurs explorent leur environnement en touchant les surfaces avec leurs moustaches, en effectuant des balayages visuels mais surtout… en reniflant à tout-va pour analyser les odeurs et les phéromones (signaux chimiques) présents dans leur environnement. On sait aussi, depuis les années 50, qu’ils produisent des ultrasons qui constituent, selon un large consensus scientifique, une forme de communication. 

Mais au cours d’études sur la vocalisation des rongeurs, Mercado a découvert que les reniflements étaient systématiquement et immédiatement précédés de l’émission d’un ultrason. Il pourrait s’agir d’une coïncidence, mais la science n’aime pas les coïncidences et les chercheurs émettent une autre hypothèse… Selon eux, les vocalisations ultrasoniques ne serviraient pas uniquement à faire causette, mais elles pourraient affecter l’odorat des rongeurs en modifiant le dépôt des particules inhalées. Restez avec moi, c’est un poil technique, mais merveilleux. La vibroacoustique ça vous parle ? (Moi non plus avant d’écrire cet article). C’est l’étude des interactions entre les vibrations et le son. Grâce à elle, on sait désormais que les vibrations ultrasoniques provoquent le regroupement des nanoparticules en suspension dans l’air. C’est ce qui a conduit Mercado à suggérer que les rongeurs utiliseraient les ultrasons pour « secouer » leur environnement et créer des groupes d’odeurs afin d’améliorer la réception des phéromones présents dans leur environnement, facilitant ainsi la détection et l’identification de potentiels amis, étrangers, concurrents etc. 

Attendez ! Les rongeurs seraient donc des sortes de Jedis qui utilisent la Force pour mieux appréhender leur environnement ? Pas loin, d’après Mercado qui avance qu’ « ils créent de nouvelles voies d’information en manipulant leur environnement et en contrôlant les interactions moléculaires des particules qui les entourent ». 

Jusqu’à présent, l’odorat avait toujours été étudié comme un sens isolé. Cette étude inédite suggère donc que les rongeurs utiliseraient le son pour activement améliorer leur sens de l’odorat (et ainsi mieux surveiller leur environnement). Ce phénomène n’avait encore jamais été observé chez aucune espèce jusque-là. 

Pour les chercheurs, cette compréhension pourrait déboucher sur de nouvelles technologies. À mon sens, c’est avant tout l’occasion de nous émerveiller une fois de plus de l’extraordinaire diversité des mondes sensoriels qui nous entourent et de contempler l’étendue de ce qu’il nous reste à découvrir des espèces qui partagent notre planète. 

Zoom sur… 🔬

4.

Microshorrible

Allez, on avait dit pas le physique.